Dans la pratique, l’exécution d’un contrat d’entreprise peut s’étaler sur plusieurs années, en fonction de sa complexité et des relations des parties au contrat. La facturation des prestations de l’entrepreneur peut intervenir ultérieurement à la livraison de l’ouvrage, et pose la question de savoir jusqu’à quand l’entrepreneur peut valablement en exiger le paiement, sans se heurter à la prescription.

Prescription contractuelle ordinaire et prescription des actions des artisans

Lorsque l’on est en présence de prestations contractuelles fournies, le principe défini par l’article 127 CO veut que les prétentions en lien avec un contrat se prescrivent par 10 ans. Par exception à ce principe, l’art. 128 ch. 3 CO prévoit que les actions des artisans pour leur travail se prescrivent par 5 ans, soit une prescription plus courte qui risque d’être opposée à un entrepreneur qui chercherait tardivement à obtenir le paiement des prestations qu’il a fournies.

Les conditions dans lesquelles une prescription de 5 ans plutôt que de 10 ans s’applique par exception ont été précisées par la jurisprudence. La notion d’artisan implique que seuls les travaux ne nécessitant pas l’emploi de technologies spéciales ou n’impliquant pas non plus le recours à des mesures d’organisation particulières entrent dans cette définition. D’une manière générale, le « travail artisanal » doit consister en un travail manuel avec prédominance de l’élément manuel de la prestation par rapport à la composante intellectuelle, scientifique, organisationnelle ou administrative:

  • N’est pas considéré comme un travail artisanal la pose de carrelage dans une centaine de pièces d’eau, lequel n’est dès lors plus un travail artisanal, la pose et l’adaptation dans un immeuble de portes fabriquées en atelier, la construction d’une maison ou de garages, des travaux nécessaires à la livraison et au montage de cinq ascenseurs, des travaux de démolition et d’évacuation effectués sur le lieu d’un gros incendie ou des travaux de nivellement avec excavatrice et trax.
  • Sont en revanche considérés comme des travaux artisanaux des travaux de plâtrerie, de peinture et de tapisserie, la fabrication de portes et de fenêtres par une menuiserie, la fabrication d’un cadre pour tableau avec des baguettes préfabriquées mais coupées individuellement à la longueur requise, l’aménagement d’une porcherie en batterie selon un plan donné des travaux d’installation sanitaire et de ferblanterie, des travaux de ferblanterie et de modification d’une installation d’aération de WC, le montage d’une antenne collective, des installations électriques, l’exécution de travaux de crépissage ou de jardinage.
  • Attention: en raison de l’évolution technique et de la standardisation des produits de construction, la jurisprudence récente admet de manière toujours plus restrictive la qualification de travail artisanal et, en cas de doute, c’est l’application du délai ordinaire de dix ans (art. 127 CO) qui doit être préférée, notamment si le contrat d’entreprise concerné a pour objet un travail qui représente plus qu’un simple travail courant ou de routine.

Point de départ de la prescription

Est déterminante pour savoir si l’entrepreneur peut encore valablement exiger le paiement de ses prestations la question de savoir où se situe le point de départ de la prescription. Celle-ci commence toujours à courir au moment de l’exigibilité de la créance, qui intervient à des moments différents en fonction des circonstances:

  • En principe au moment où l’ouvrage convenu est livré et accepté ;
  • En revanche, lorsque des factures finales sont établies sur le vu de l’ouvrage, ou par la prise de métrés effectifs contradictoires, l’exigibilité de la créance intervient au moment de l’établissement de la facture finale.

Recommandations

Lorsqu’il tente d’obtenir le paiement des prestations qu’il a fournies et qu’il se voit opposer la prescription, on recommande à l’entrepreneur de:

  • se demander si ses prestations sont celles d’un artisan, soumises à une prescription de 5 ans, ou si elles ont excédé ce périmètre par leur ampleur ou leur technicité, et sont soumises à une prescription contractuelle ordinaire de 10 ans ;
  • De déterminer quand la créance est devenue exigible, pour identifier à partir de quand la prescription a commencé à courir, dans son intérêt le plus tard possible, par exemple à l’établissement de la facture finale.

Ce faisant, il peut espérer faire tomber l’argumentation d’un maître d’ouvrage qui tente d’échapper au paiement de ses factures par une argumentation tirée de la prescription.