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Expertise du Service juridique de la FVE

Me David Equey, Chef du Service juridique, a publié dans la Jusletter une importante contribution sur la nouvelle loi sur la lutte contre les abus dans la faillite, parue le 27 février 2023.

Me Equey propose une présentation du long processus législatif qui a conduit les Chambres fédérales à adopter, le 18 mars 2022, une loi sur la lutte contre l’usage abusif de la faillite. Introduisant plusieurs dispositions dans le Code des obligations, la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite et le Code pénal, ces nouveautés doivent permettre de mieux lutter contre les abus dans la faillite et de coordonner entre les autorités compétences l’exécution des jugements pénaux comportant une interdiction d’exercer la gestion de sociétés.

Me Equey analyse ces différentes mesures et leurs conséquences dans la pratique, et développe des pistes de réflexion complémentaires pour améliorer encore la lutte contre les faillites frauduleuses. La contribution de Me Equey est consultable sur le lien suivant :

Jusletter – Insolvabilité organisée et « serial failers » (weblaw.ch)

Mes projets

Aménagement du territoire

Transformation d’une étable-grange située en zone agricole en maison de vacances

Art. 24d al. 2 LAT
Un propriétaire d’une parcelle située sur le territoire de la commune de Binn (Valais), classée en zone agricole, dépose une demande de permis de construire visant la transformation d’une grange en maison de vacances. L’office fédéral du développement (ARE) recourt au Tribunal fédéral contre le permis de construire accordé au propriétaire.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’en application de l’art. 75b Cst et de l’art. 6 al. 1 de la Loi fédérale sur les résidences secondaires (LRS),aucune nouvelle résidence secondaire ne peut être autorisée dans les communes qui, comme celle de Binn, présentent une proportion de résidences secondaires supérieure à 20 %.

Pour déterminer si la grange en question devait être qualifiée de construction digne de protection au sens de l’art. 24d al. 2 LAT, la Commission cantonale des constructions s’est essentiellement basée sur le rapport correspondant du Service valaisan des bâtiments, monuments et archéologie, qui mettait en particulier en avant la valeur historique intrinsèque de la grange, et sa valeur situationnelle en tant qu’élément caractéristique du paysage. En effet, la grange se situe dans le parc naturel régional de la vallée de Binn.

Selon le Tribunal fédéral, la valeur intrinsèque de la grange n’a pas été démontrée, pas plus que l’importance particulière de cet édifice, dont rien n’indique que les qualités structurelles se distinguent particulièrement d’autres constructions locales de la même époque quant au style d’architecture ou aux matériaux utilisés. Ce faisant le Tribunal fédéral retient donc que la grange n’est pas matériellement digne de protection en tant qu’objet individuel au sens de l’art. 24d al. 2 LAT. En conséquence, aucune autorisation exceptionnelle ne peut être délivrée pour sa transformation en maison de vacances selon cette disposition.

En synthèse il faut retenir de cet arrêt que pour qu’une construction soit jugée digne de protection au sens de l’art. 24d al. 2 LAT et qu’un changement complet d’affectation soit possible, elle doit être formellement placée sous protection par l’autorité compétente et être matériellement digne de protection en tant qu’objet individuel. Une construction dont la protection ne repose que sur sa valeur situationnelle en tant qu’élément caractéristique du paysage ne bénéficiera pas du régime de l’art. 24d al. 2 LAT (TF 1C_111/2020 du 11 août 2021).


Police des constructions

Autorisation de construire – Aggravation de la servitude

Art. 19 et 22 al. 2 LAT
Une société obtient l’autorisation de construire deux habitats groupés de 16 logements sur une parcelle qui n’est desservie avec un parking souterrain de 23 places de parc sur une parcelle dont l’accès n’est desservi que par une servitude de passage limitée à l’accès à la seule villa existant en l’état. Le TF tranche un recours contre l’octroi de ce permis de construire, au motif que la servitude de passage ne peut profiter qu’à la villa existante, partant que l’accès à la parcelle n’est pas juridiquement garanti pour les nouvelles constructions à ériger.

Le TF juge que lorsqu’une parcelle est seulement accessible par une servitude de passage, si l’utilisation plus intensive de cette servitude en raison de a construction de seize logements provoque une aggravation notable de la charge pour le fonds servants, l’accès n’est pas juridiquement garanti et une autorisation de construire ne peut être délivrée (TF 1C_341/2020 du 18 février 2022).

Mes affaires

Droit des contrats

Interruption du délai de prescription – Moment auquel la prescription recommence à courir

Art. 138 al. 1er CO
L’effet interruptif de la prescription au sens de l’art. 138 al. 1 CO (introduction d’une requête de conciliation, d’une action ou en faisant valoir une exception) se produit lorsque l’instance saisie rend une décision finale qui ne peut plus être attaquée par un appel ou un recours. Le délai de prescription ne court donc pas tant que l’action est pendante. D’après l’art. 138 al. 1 CO, la prescription interrompue par l’effet d’une requête en conciliation, d’une action ou d’une exception recommence à courir lorsque la juridiction saisie clôt la procédure.

Confronté à cette question, le Tribunal fédéral constate que la loi ne prévoit pas clairement quel est le moment auquel la juridiction saisie clôt la procédure, et donc le moment auquel l’effet interruptif se produit (départ d’un nouveau délai au sens de l’art. 137 al. 1 CO). Au terme d’une analyse approfondie, le Tribunal fédéral retient que le nouveau délai ne devrait courir qu’au moment où il n’est plus possible d’attaquer la décision finale par un appel ou un recours. Il s’agit de la seule solution permettant d’éviter que le délai de prescription expire alors que la cause est pendante.

Ainsi, l’introduction d’un moyen de droit ne fait pas commencer un nouveau délai de prescription. Il en va de même s’agissant du renvoi à l’autorité précédente et, bien entendu, des moyens de droits extraordinaires tels que la révision (art. 328ss CPC). On rappellera à l’attention des lecteurs, qu’une décision entre en force de chose jugée, s’agissant des décisions sujettes à appel, à l’expiration du délai d’appel non utilisé et, s’agissant des décisions sujettes à une voie de droit extraordinaire, dès la notification (TF 4A_428/2020 du 1er avril 2021).


Contrat d’entreprise et norme SIA

Contrat d’entreprise – travaux hors soumission – contestation d’une expertise – Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs après une division de parcelle

Art. 363ss CO, 798 et 833 CC, 45 Norme SIA 118 et 52 CPC
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral précise les contours de différentes notions qui méritent d’être rappelées ici :

Contestation d’une expertise et bonne foi en procédure (art. 52 CPC) – En attendant l’appel pour se prévaloir de manquements de l’expert judiciaire, le maître de l’ouvrage enfreint le principe de la bonne foi en procédure et les griefs formulés au stade de l’appel sont irrecevables.

Travaux hors soumission (art. 45 Norme SIA 118) – Les travaux consécutifs à un glissement de terrain constituent des travaux urgents pour prévenir un dommage au sens de l’art. 45 al. 2 Norme SIA 118. En l’espèce, ils ont été signalés au maître d’ouvrage qui n’a pas exigé leur interruption, de sorte que leur coût est dû.

Le maître, architecte de formation, qui a suivi le chantier et qui a eu connaissance des travaux exécutés et ne les a pas refusés, ne saurait refuser le paiement en invoquant que le contrat prévoyait que toute prestation hors contrat devait être précédée d’un devis adressé à la direction des travaux.

Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs (modification de la demande, art. 227 et 230 CPC) – La parcelle sur laquelle le gage avait été inscrit à titre provisoire a été divisée en quatre en 2013. En 2019, l’entrepreneur a modifié sa demande en ce sens que l’hypothèque grève les parcelles 1, 2, 3 et 4 au prorata de leur surface respective. En gardant à l’esprit que les conclusions s’interprètent à la lumière de la motivation qui les sous-tend, le Tribunal fédéral que la demande en inscription définitive de l’hypothèque légale est recevable à l’égard de la parcelle ayant conservé le numéro de la parcelle d’origine avant division, et irrecevable à l’égard des trois parcelles nouvellement créées.

Répartition du gage après division parcellaire (art. 798 CC) – Le Tribunal fédéral confirme également la répartition schématique de l’hypothèque à parts égales sur les quatre parcelles, comme l’avait opérée l’instance cantonale. En effet, bien que l’hypothèque doive en principe être demandée sous la forme de droits de gage partiels, grevant chaque immeuble pour la partie de créance relative à celui-ci (art. 798 al. 2 CC), la situation est différente lorsque les travaux ont été effectués sur un seul fonds qui a été divisé postérieurement. On distingue alors deux hypothèses : soit la division est suivie de l’aliénation d’une (ou plusieurs) des parcelles nouvellement créées, auquel cas la garantie est répartie proportionnellement à la valeur estimative des divers immeubles (art. 833 al. 1 CC), soit les biens-fonds issus de la division restent en mains du même propriétaire, et le gage est alors reporté en son entier sur tous les nouveaux immeubles en tant que gage collectif (TF 4A_576/2021 du 26 août 2022).

Contrat d’entreprise – garantie pour les défauts – réduction du prix

Art. 367ss CO
Un litige porte sur le défaut de l’isolation phonique de certaines parois d’une construction, pour lesquelles un accord séparé de CHF 3’877.90 avait été signé et dont l’expert judiciaire avait estimé le coût d’élimination à CHF 50’000.-. Le Tribunal fédéral a l’occasion de rappeler dans cette affaire un certain nombre de principe et de les clarifier.

Garanties pour les défauts (art. 367 ss CO) – Le maître de l’ouvrage peut faire valoir les droits à la garantie suivants : la réfection de l’ouvrage, la réduction du prix ou la résolution du contrat. Il s’agit de droits formateurs alternatifs : lorsque le maître a opté pour l’un de ses droits de garantie, son choix est en principe irrévocable.

Action en réduction du prix – L’art. 368 al. 2 CO dispose que le prix doit être réduit « en proportion de la moins-value ». Cela étant, il faut distinguer la moins-value de l’ouvrage du montant de la réduction que le maître peut retrancher du prix plein en exerçant son droit à la réduction de prix. La moins-value a trait à l’ouvrage et le montant de la réduction au prix. Le droit à la réduction suppose une moins-value, laquelle consiste dans la différence entre la valeur objective de l’ouvrage hypothétiquement conforme au contrat et celle de l’ouvrage effectivement livré. Lorsqu’une moins-value objective est établie, le droit à la réduction existe même si la valeur de l’ouvrage avec le défaut atteint ou dépasse le prix convenu.

Pour calculer la réduction de prix « en proportion de la moins-value », la jurisprudence et la doctrine majoritaire prescrivent la méthode relative – comme en matière de réduction du prix de la chose vendue –, en fonction de la proportion qui existe entre la valeur objective de l’ouvrage avec défaut et la valeur objective de l’ouvrage sans défaut : le prix convenu est réduit dans la proportion obtenue. La réduction du prix se confond avec la moins-value si le prix convenu ou fixé pour l’ouvrage sans défaut est égal à la valeur objective de l’ouvrage sans défaut. Lorsque la valeur de l’ouvrage défectueux se révèle nulle, le prix est réduit à zéro.

Double présomption en matière de réduction du prix – La jurisprudence a premièrement posé comme présomption que la valeur de l’ouvrage qui aurait dû être livré (valeur objective de l’ouvrage sans défaut) est égale au prix convenu par les parties. Cette présomption se fonde sur la considération que, d’ordinaire, le prix est l’expression de la valeur marchande. Si cette présomption n’est pas renversée, la réduction du prix est simplement égale à la moins-value. Facilitant encore l’application de l’art. 368 al. 2 CO, le Tribunal fédéral a posé que la moins-value est présumée égale aux coûts de remise en état de l’ouvrage. L’application conjointe de ces deux présomptions aboutit à une réduction du prix égale au coût de l’élimination du défaut. Il appartient à celle des parties qui prétend que l’une de ces deux présomptions ne s’applique pas au cas d’espèce de l’établir.

Dans le cas d’espèce, et en application du calcul de la méthode relative, le Tribunal fédéral retient que la valeur objective de l’ouvrage avec défaut est nulle, de sorte que le prix s’en trouve réduit à zéro. Le maître d’ouvrage a ainsi droit à une réduction de prix de CHF 3’877.90, soit l’entier de ce qu’il a payé pour les parois en cause, et non de CHF 50’000.- comme l’autorité précédente l’avait jugé, en réduction du prix de l’ouvrage total de CHF 1,3 millions (TF 4A_23/2021 du 12 décembre 2022).

Mes collaborateurs

Contrat de travail

Licenciement – Forme du contrat – Actes concluants

Art. 2 CC, Art. 11, 12, 14, 14, 16 et 337 CO
Le Tribunal fédéral rappelle que la résiliation d’un contrat de travail est un droit formateur, qui s’exerce de manière univoque et sans condition, et revêt en principe un caractère irrévocable.

La résiliation d’un contrat de travail n’est pas soumise à une forme particulière : si les parties conviennent d’une forme spéciale, par exemple la forme écrite, elles sont réputées n’avoir entendu se lier que dès l’accomplissement de cette forme : un tel accord peut résulter d’actes concluants.

Si les parties ont convenu de la forme écrite pour leur contrat de travail, elles peuvent aussi renoncer à cette exigence de forme par actes concluants. Tel est le cas lorsque le travailleur, au lieu de se prévaloir d’un vice de forme à l’égard d’un congé non-signé (en soutenant donc qu’il n’a pas été valablement signifié), requiert en lieu et place qu’on lui expose les motifs de son licenciement (ce qui revient à admettre que son congé lui a été valablement signifié du point de vue de sa forme). Le travailleur ne pourrait valablement renoncer, par actes concluants, à ce que son contrat soit résilier en respectant une certaine forme, lorsque la forme est requise par la loi ou une convention collective (TF 4A_129/2022 du 27 octobre 2022).

Abandon de poste – Incapacité de travail

Art. 337d CO
Un travailleur agricole se trouve en incapacité de travail dès le lendemain de l’incendie qui s’est déclenché dans l’exploitation au sein de laquelle il était engagé, en lien notamment avec le choc qu’a représenté pour lui l’incendie. L’employeur a tenté de soutenir, sans succès, que le travailleur aurait abandonné son poste.

Le TF constate que l’employeur échoue à démontrer que son travailleur aurait abandonné son poste, et observe au contraire que ce dernier a fait transmettre à son employeur des certificats médicaux attestant de son incapacité de travail, que l’employeur n’a jamais contesté.

Le TF rappelle qu’il y a abandon de poste lorsque le travailleur quitte so poste abruptement sans justes motifs ; dans un tel cas, le contrat de travail prend fin immédiatement, sans que l’employeur doive adresser au salarié une résiliation immédiate de son contrat. L’employé qui se trouve empêché de continuer de travailler en raison d’une incapacité médicale de travail ne commet pas un abandon de poste (TF 4A_454/2022 du 17 novembre 2022).

Location de services – Plateforme numérique de livraison de repas Uber Eats

Contrat de travail et loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE)
Par opposition à d’autres contrats de prestation de services, le contrat de travail se caractérise par l’existence d’un rapport de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel, temporel, et économique.

Le Tribunal fédéral se penche dans cet arrête sur la particularité de la situation des chauffeurs Uber Eats. Au cours de son analyse, le TF observe que la liberté des livreurs de se connecter à l’application quand ils veulent et de refuser des livraisons n’exclut pas forcément l’existence d’un contrat de travail. Par ailleurs, la liberté des livreurs de refuser des livraisons n’est pas totale, étant donné qu’un tel refus peut entraîner d’éventuelles sanctions. Quant au droit des livreurs de se procurer d’autres sources de revenus auprès d’autres employeurs pendant qu’ils sont connectés à l’application Uber Eats, il n’est pas déterminant. En effet, il est possible qu’un employé soit expressément autorisé à faire concurrence à son employeur. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est indépendant, mais seulement que les parties ont limité l’application de l’art. 321a al. 3 CO (devoir de non-concurrence du travailleur pendant la durée du contrat), ce qui est admissible au vu du caractère dispositif de cette disposition. En conclusion, il existe une relation de subordination – et ainsi une relation de travail – entre Uber et les livreurs Uber Eats

Le Tribunal fédéral retient également que la relation entre Uber et les restaurateurs ne relève pas de la location de services. La loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services n’est donc pas applicable, de sorte qu’Uber n’a pas l’obligation de se conformer aux exigences y relatives (p.ex. obtention d’une autorisation, inscription de la succursale au registre du commerce).

Les livreurs Uber Eats doivent donc être considérés comme des employés en raison du rapport de subordination qui les lie à Uber. En revanche, il n’y a pas de contrat de location de services au sens de la Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE) entre Uber et les restaurateurs, à défaut d’un transfert du pouvoir de direction aux restaurateurs et d’une intégration des livreurs dans l’organisation des restaurateurs (TF 2C_575/2020 du 30 mai 2022).

Mes litiges

Poursuites et faillites

Contrainte en cas de notification d’un commandement de payer abusif

Art. 181 CP
Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de juger à plusieurs reprises et confirme que, pour une personne de sensibilité moyenne, faire l’objet d’un commandement de payer une somme importante constitue, au même titre qu’une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients liés à la perception de poursuite elle-même et de la perspective de devoir éventuellement acquitter la somme en question.

S’il est licite de faire notifier un commandement de payer à quiconque à l’égard duquel on est fondé à faire valoir une prétention, il est en revanche abusif, donc illicite, d’utiliser le commandement de payer comme instrument de pression (TF 6B 614/2021 du 20 avril 2022).